Depuis le début de la campagne présidentielle en vue de l’élection du 12 octobre 2025 au Cameroun, les partisans de certains candidats et même certains cadres de partis politiques pullulent sur la toile d’images et vidéos manipulées, dans le but de faire croire à un soutien populaire.
Le samedi 27 septembre 2025 était le jour de lancement de la campagne présidentielle au Cameroun, en vue de l’élection du 12 octobre. Soit 15 jours pour convaincre les citoyens de voter un candidat au lieu d’un autre. D’ailleurs à ce sujet, les candidats désormais au nombre de 10 depuis le retrait d’Akere Muna et Ateki Seta Caxton, ralliés à Bello Bouba Maigari, le président national de l’Union national pour la démocratie et le progrès (UNDP), un parti d’opposition au Cameroun, ont pour certains, eu recours à la manipulation. Des images et vidéos parfois sorties de leur contexte et d’autres générées par l’Intelligence artificielle (IA) abondent alors la toile.
Ce sont parfois des images dont l’inauthenticité ne fait aucun doute. Le cas de celles dont le message discrédite, corrompt ou valide l’un des candidats en course pour Etoudi (Nom très souvent utilisé pour parler du palais de l’Unité, car, situé dans ce quartier à Yaoundé, NDLR). Les visages des personnes indexées comme porteurs dudit message sont parfois connus. Elles sont pour la plupart, des figures politiques ou celles qui roulent pour un parti ou un homme politique, mais dont les messages trafiqués qui leurs sont attribués prônent le contraire.
Une image fabriquée de Bruno Bidjang, journaliste à Vision 4 dont les accointances avec le régime en place sont connues.
En effet, les édifices et autres espaces publics montés font partie du lot. Les messages vont dans le même sens que ceux évoqués plus haut. L’objectif est, visiblement, de discréditer un candidat autre que celui qu’on supporte. Ces images mettent pour la plupart en exergue le nom d’une ville du pays. Le cas de Buéa, l’une des deux régions anglophones et Yaoundé, la capitale politique. Ces auteurs sont souvent très peu connus et utilisent souvent de faux comptes pour partager leur contenu dans des pages Facebook où certains sont administrateurs ou comptés parmi les meilleurs contributeurs.
Les hors contextes et autres manipulation visuelles
D’autres cas de figure sont également identifiés dans cette manipulation imagée, à savoir les hors contexte. D’ailleurs, plusieurs ont été dénombrés depuis le début de la campagne. La vidéo du meeting d’Issa Tchiroma Bakary, le candidat du Front pour le salut national du Cameroun (FSNC), à Kousseri, dans la région de l’Extrême-Nord en est un exemple. Nzui Manto, la page Facebook auteure de la désinformation est réputée pour ce genre d’exercice. L’élection présidentielle étant à cet effet, l’occasion « propice » pour faire les éloges de son candidat actuel.
Une image de Paul Biya récemment partagée et attribuée aux clichés de son premier meeting après le lancement de la campagne présidentielle a également été sortie de son contexte. Devenue virale le mardi 7 octobre, la photo sur laquelle le Président de la République se déplace sur une rue bondée de personnes, dont des forces de maintien de l’ordre, a fait le tour des réseaux. Pourtant vieille de 2020, d’après nos recherches Osint.
Effectivement, cette désinformation n’est pas le fruit de ses pourfendeurs. Car ici, l’objectif est de montrer comment l’octogénaire est robuste, plein de vigueur et apprécié dans le septentrion. « Il ne s’agit pas seulement de garantir la visibilité des acteurs politiques, mais il s’agit aussi de déplacer le débat et d’orienter l’attention sur des images pour dissimuler subtilement les failles et faiblesses des programmes politiques respectifs des candidats en lice. Cette « folklorisation » de la compétition politique permet donc d’ éviter des débats de fond sur les offres politiques des candidats. Vu comme tel, ce recours à des images hors contextes et à celles générées par l’IA est hautement stratégique », explique Pr. Aristide Michel Menguele Menyengue, Maître de Conférence en Science politique à l’Université de Douala.
Toujours au cours de cette période électorale, l’image d’une dame vêtue aux couleurs du Rassemblement Démocratique du peuple camerounais (RDPC), le parti au pouvoir fait le tour de la toile. Zakiatou Bako, présidente de l’Organisation des femmes RDPC (OFRDPC) section du Mayo Danay Est 1, à l’Extrême-Nord est prise pour Suzanne Julie Fatchom, l’épouse de Maurice Kamto, candidat recalé de la présidentielle d’octobre 2025.
Les autres fossoyeurs électoraux
Toujours au cours de cette campagne présidentielle, certains cadres de partis politiques se sont livrés eux aussi, au jeu de la désinformation mais sans aucun masque. Louis Marie Kakdeu, nommé directeur de campagne du Social Democratic Front (SDF) en septembre 2025, partage une pléthore d’images de campagne de la sortie de leur candidat via les messageries Whatsapps. DataCheck y compris. Dans le lot, figurent celles générées par Gemini, l’assistant IA de Google. La qualité de l’image, le logo de Gemini et la date du 30 octobre 2025 sont entre autres éléments qui alertent plus d’un. Le traficotage d’images est flagrant.
Quelques images reçues sur Whatsapp et dont les indices de génération via l’IA sont visibles.
Plus tard, ces images sont supprimées, sans aucun message accompagnateur. Toutefois, celles reçues par la rédaction de DataCheck sont retrouvées dans la liste du 4 octobre 2025, de Mohamadou Houmfa, journaliste à Voice of America. Au sujet de ce post, il révèle avoir repris la publication d’un communicant SDF, qui lui aussi l’a supprimé des minutes plus tard. «A mon avis, le recours à ces tactiques de manipulation et désinformation s’explique par le fait que cela ne demande pas beaucoup d’efforts ni une grande expertise. Il est facile de produire une image hors contexte ou en base d’outils d’intelligence artificielle, et cela ne demande pas beaucoup de temps pour le faire », Samba Dialimpa, chercheur et spécialiste de la lutte contre la désinformation.
Pour se dédouaner, le Social democratic front, via son secrétaire à la communication, publie un avertissement le même 4 octobre. « Nous avons constaté l’usage criminelle de l’intelligence artificielle pour fabriquer et diffuser de fausses images et vidéos attribuées frauduleusement au SDF ».
La note du SDF
Seulement, la note n’est publiée ni sur la page Facebook de Joshua Osih, ni sur celle de Louis Marie Kakdeu, son directeur de campagne, encore moins sur celle d’Henri Kejang, le secrétaire national à la communication du parti. Contacté au sujet des images, Louis Marie Kakdeu répond : « Ce sont des fakes qui nous ont été collées. » Pourtant, plusieurs d’entre elles viennent de lui. D’autres, pas aussi flagrantes que celles en illustration, sont encore sur la page Facebook du SDF (Liens archivés) ce 14 octobre 2025.
Sur cette propagande, Aristide Michel Menguele Menyengue, relève que « la banalisation de la désinformation dans le contexte électoral actuel est révélatrice de la capacité des acteurs politiques à diversifier les stratégies de conquête et de conservation du pouvoir y compris par le recours à des instruments de make-up politique tels que l’IA. » Tandis que pour Samba Dialimpa, la principale analyse de ce recours à la désinformation « est qu’elle fait désormais partie des stratégies de propagande électorale(…) Les communicants des candidats ne vont plus hésiter à utiliser du faux contenu dans leur communication.»
Michèle EBONGUE
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