Au cours du programme Equinoxe Soir diffusé sur les antennes de la chaîne Eponyme, François Xavier Hiondi Nkam IV a déclaré que le Cameroun perd 2 milliards par an dans l’importation du pétrole. Mais après vérification, cette déclaration ne repose sur aucune preuve formelle. Bien que des experts en mines et pétrole consultés estiment cette perte à plus de 2 milliards FCFA par an.

Le mercredi 2 juillet 2025 au cours du programme Equinoxe Soir diffusé sur la chaîne de télévision privée Equinoxe Télévision, François Xavier Hiondi Nkam IV, journaliste en service au quotidien Le Jour a déclaré que « c’est 2 milliards qu’on perd en important le pétrole chaque année ». En date du 28 août 2025, cette édition a enregistré plus de 25 000 vues sur la page YouTube d’Equinoxe TV et plus de 4 000 vues sur la page YouTube du journal télévisé. Cette déclaration intervient dans un contexte où le peuple camerounais se prépare à aller aux urnes dans le cadre de l’élection présidentielle du 12 octobre 2025.  Equinoxe Soir est un programme de débat diffusé de lundi à vendredi, entre 19h et 21h sur la chaîne à capitaux privés Equinoxe Télévision.

Après le dernier échange que François Xavier Hiondi Nkam IV a eu avec DataCheck sur la vérification en lien avec la balance commerciale du Cameroun en 2024, il ne donnera cette fois ci, aucune suite à notre requête, par appel et sur Whatsapp.

Vérification

Grâce à une recherche par mots clés sur Google, nous avons trouvé dans les annexes de la note sur le commerce extérieur de 2023 publiée par l’Institut national de la statistique (INS), les données sur les importations et exportations du pétrole brut, du gaz, les lubrifiants, entre 2017 et 2023.  L’interprétation dudit tableau permet de réaliser qu’entre 2017 et 2019, le Cameroun a régulièrement importé du pétrole brut et dont les quantités varient entre 541 et 856 milliers de tonnes, pour un montant qui varie entre 173 milliards et 220 milliards F Cfa. Et depuis l’année 2020, le Cameroun n’a plus importé le pétrole brut, renseigne le tableau. Une situation qui pourrait s’expliquer par la cessation d’activités à la Société Nationale de Raffinage (Sonara), suite à l’incendie qui a frappé l’unique raffinerie camerounaise.

Suite à cet incident, le pure player Investir au Cameroun indique dans un article publié le 05 décembre 2019 qu’au total, « pour cette année [2019, Ndlr], a-t-on appris, le volume global des importations de produits pétroliers finis, afin de garantir l’approvisionnement du pays après l’incendie de la Sonara (l’unique   raffinerie du pays) survenu le 31 mai 2019, est de 1,540 million de m3. Ces importations, a indiqué le Minee, sont reparties entre la Sonara (480 000 m3) et les autres marqueteurs (1,060 million de m3) en activité sur le territoire camerounais. »

Annexe sur les importations des produits pétroliers, tiré de la note sur le commerce extérieur de 2023 publié par l’INS.

Seulement, pour mesurer les pertes financières du Cameroun dans l’importation du pétrole, Dr Bareja Youmsi, expert en mines et pétrole fait savoir que plusieurs paramètres doivent être pris en considération. Il s’agit entre autres, de la « vente du pétrole brut pour acheter le produit fini, avec tout ce que vous avez au milieu comme marketer, trader…, la logistique, le transport, la manutention », explique Dr Bareja Youmsi. En plus, poursuit-il, « en achetant le carburant à l’étranger, nous devons effectuer la transaction en devise (généralement en dollar). Du coup, nous sommes confrontés aux taux d’échanges ainsi qu’aux commissions liées aux transactions bancaires. Ce sont aussi des pertes ».

Pour être fixé sur les pertes financières que connait le Cameroun dans l’importation du pétrole, DataCheck s’est rendu au ministère de l’Eau et de l’Energie (Minee). Il apprend de la cellule de communication que depuis le 14 décembre 2023, le Minee ne s’occupe plus des importations des produits pétroliers et que cette charge est depuis lors attribuée à la Caisse de Stabilisation des Prix des Hydrocarbures (CSPH). Sur place, un responsable de communication confie sous anonymat que pour avoir accès à toutes ces informations, il faut adresser une lettre au Directeur Général. Depuis le dépôt de la demande le 18 août 2025, la requête de DataCheck est restée sans suite. L’article sera mis à jour en cas de réponse de cette institution.

Coût des pertes

Toutefois, dans un article publié le 26 juin 2023, Ecomatin, révèle que « la conjoncture internationale marquée par le maintien à un niveau élevé des cours du pétrole et du gaz naturel semble mettre à rude épreuve la trésorerie de la Caisse de stabilisation des prix des hydrocarbures (Csph). En 2022, le bras séculier de l’Etat en matière de contrôle et de suivi des prix des produits pétroliers a enregistré des pertes de 13 milliards de F Cfa. »

A la question de la perte de 2 milliards F Cfa par an dans l’importation du pétrole, Dr Bareja Youmsi confie : « Le Cameroun perd plus que 2 milliards. Imaginez-vous un instant un pays qui vend tout son pétrole brut à l’étranger et rachète au même moment tout le carburant qu’il consomme du même étranger ! Voilà pourquoi nous sommes obligés de subventionner le carburant. En 2023 nous étions autour de 700 milliards de subvention ; ce qui peut être considéré comme une perte car si nous étions dotés d’une raffinerie capable de raffiner notre pétrole brut le lutte du carburant coûterait 550 F Cfa au lieu de 840 F Cfa ».

Sur le même sujet, Robert Mouthe Ambassa, lui aussi expert en mines et pétrole, affirme que « ce chiffre est faux. Par an, on dépense 1 000 milliards Dollars dans l’importation du pétrole. Et ce n’est pas le chiffre à l’international, On a besoin d’acheter de 1000 milliards de devises à la banque de France pour importer le pétrole au Cameroun », sans en dire plus.

Le manque d’une raffinerie moderne pouvant raffiner son pétrole dit « lourd » contraint le Cameroun à importer des produits pétroliers à des prix souvent plus élevés que le coût du pétrole brut, déplore Dr Bareja Youmsi. Et en zone Cemac, « seuls la République Centrafricaine et le Cameroun ne disposent pas de raffinerie. Mais la différence entre les deux pays est que le    Cameroun produit, mais n’a pas de raffinerie, tandis que la RCA ne produit pas et n’a pas raffinerie », fait savoir Robert Mouthe Ambassa.

Or, comme l’indique l’expert en mine et pétrole, ces importations reviennent plus chères à l’Etat du Cameroun car avoir sa propre raffinerie serait plus avantageux pour un pays. Ceci permet au pays d’être autonome et avoir la pleine souveraineté. « Pourtant lorsqu’on importe, on dépend de ceux qui nous vendent le carburant ; des bateaux qui nous livrent ; de la sécurité dans le golfe de Guinée. Parce que quand il y a insécurité dans le Golfe de Guinée, les bateaux de pétrole ne vont jamais venir nous livrer. Et s’ils ne nous livrent pas par manque de carburant, l’économie s’arrête. Et même si le pays est en guerre, l’armée n’a pas de carburant pour mouvoir ses équipes vers le front. Mais si nous avons notre propre raffinerie, il n’y a pas de pénurie, parce qu’on contrôle la production », renseigne Robert Mouthe Ambassa.

A cet effet, Dr Bareja Youmsi estime que « la réhabilitation de la Sonara ou La construction d’une raffinerie moderne permettrait de transformer le pétrole brut sur place, réduisant ainsi la dépendance aux importations et les pertes financières. Ainsi le prix du carburant à la pompe baisserait automatiquement ».

En conclusion, la déclaration selon laquelle le Cameroun perd 2 milliards dans l’importation du pétrole est infondée. Les experts en mines et pétrole estiment à plus de 2 milliards F Cfa cette perte. Le manque de raffinerie au Cameroun et l’exportation du pétrole brut extrait au Cameroun sont à l’origine de ces pertes.

Lorine Claudia AGNANG

Cet article a été produit dans le cadre du projet Partenariat pour l’intégrité de l’information, porté par DataCameroon, avec l’appui technique de DataCheck.