Serge Henri Kelbe, militant du RDPC a déclaré sur Équinoxe TV qu’en 2018, il y a eu plus de 1 800 000 bulletins blancs lors de l’élection présidentielle. Après vérification via des articles de sites d’informations, une note d’analyse et auprès de l’organe en charge de l’organisation des élections au Cameroun et des politologues, cette affirmation est inexacte.
Serge Henri Kelbe, militant du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) est compté parmi les invités de « Droit de réponse » du dimanche 29 juin 2025, sur Equinoxe TV. « Droit de réponse » est un programme de débat de l’actualité diffusé tous les dimanches, de 12 h à 13 h 52 minutes sur Équinoxe TV, une chaîne camerounaise à capitaux privés. Après 1h 29 minutes d’échanges, Serge Henri Kelbe déclare que, « sur 6 millions d’inscrits en 2018, il n’y a pas eu plus de 4 millions qui ont voté, c’est-à-dire suffrage exprimé. Il y a eu plus de 1 800 000 bulletins blancs ».
Cette déclaration intervient quelques mois avant la prochaine élection présidentielle prévue le 12 octobre 2025. La vidéo elle, a comptabilisé au 6 août 2025, plus de 64 000 vues sur la chaîne YouTube d’Equinoxe TV.
DataCheck a contacté Mathias Eric Owona Nguini, Professeur titulaire en Sciences politiques à l’Université de Yaoundé II (UYII) qui explique ce que l’on entend par bulletin blanc. « C’est celui qui ne permet pas d’établir quel est le choix que l’électeur fait parmi les candidats à une élection. Dans le décompte, le vote de cet électeur ne peut pas être porté au crédit d’un des candidats en compétition », définit-il, avant de préciser que : « Ce choix peut recouvrir différentes choses. Soit ce sont des électeurs qui n’ont pas la maîtrise du positionnement des différents candidats à une élection, soit ce sont des électeurs qui veulent exprimer leur insatisfaction par rapport à l’offre politique présentée par les différents candidats à une élection ; et qui en s’exprimant de cette manière disent leur mécontentement », a expliqué Mathias Eric Owona Nguini.
Vérification
Joint via Whatsapp, Serge Henri Kelbe maintient ses propos et explique : « Je me suis rendu compte qu’en 2018, il y a eu 3 millions d’abstentions, sur un peu plus de 6,6 millions d’inscrits et effectivement on a eu plus 1 800 000. Il s’agit des votes qui n’ont été accordés à aucun candidat ». Le militant RDPC précise qu’il tient l’information d’Elections Cameroon (Elecam), l’organe en charge de l’organisation des élections au Cameroun.
Une recherche Google à partir des mots clés a conduit DataCheck vers des publications (1, 2) en lien avec cette information. La note d’analyse de Janvier-Février 2019 de “Stratégies spatiales”, une note mensuelle d’analyses cartographiques créée en janvier 2019 par un groupe de géomaticiens, présente les données de l’élection présidentielle 2018.
Le document indique à la page 10, qu’il y a eu 52 716 bulletins nuls ou blancs à l’élection présidentielle de 2018, qui représente 1,47% des suffrages exprimés. D’après cette note d’analyse, les données proviennent des résultats proclamés de la présidentielle de 2018, par le Conseil Constitutionnel, le 22 octobre 2018 à Yaoundé.
Outre la Note d’analyse de “Stratégies spatiales”, la chaîne YouTube Lamuka qui se définit comme celle d’informations générales sur le Cameroun, le Congo-Brazzaville et la République Démocratique du Congo (RDC) a elle aussi publié les résultats de l’élection présidentielle de 2018. La vidéo qui dure près de 4h30 est une reprise de la Cameroon Radio Television (CRTV), la chaine á capitaux publics du Cameroun, sur la lecture des résultats de l’élection présidentielle par le président du Conseil constitutionnel. Elle révèle, elle aussi, après 3 heures 48 minutes 48 secondes que le nombre de bulletins nuls a été de 52 716.
Dans un article daté du 22 octobre 2018, Anadolu, une Agence de presse turque qui dit traiter l’information générale sur l’Afrique et le monde, communique elle aussi, les mêmes chiffres que Stratégies spatiales. « Selon le Conseil constitutionnel, Paul Biya a obtenu 2 521 758 voix sur un total de 6,6 millions d’électeurs inscrits et dont seulement 3,5 millions ont voté, soit un taux de participation de 53,86%. Quelques 52 716 bulletins sont nuls, selon le Conseil constitutionnel », lit DataCheck en parcourant le rendu.
A cette information, Aristide Mono, politologue, assure : « Le chiffre exact, c’est 52 716 selon Elecam(…) C’est à un gap assez énorme, on ne peut pas parler de marge d’erreur. Soit il s’est trompé de bonne foi, soit il s’est trompé de mauvaise foi. De toutes les façons, on peut inscrire ce vote blanc comme une forme d’abstention dans le cadre de cette élection ».
Pour être fixé sur ces données prises çà et là, DataCheck a joint par appel téléphonique Stephen Moki, le responsable des Relations publiques à Elecam, qui nous a recommandé soit de consulter le site web d’Elecam récemment mis à jour, soit de nous rendre à la Direction générale. Un clic sur la rubrique « documentation » du site d’Elecam nous conduit vers le rapport de l’élection présidentielle de 2018, mis en ligne le 9 juillet 2025.
La page 197 du document présente un tableau récapitulatif général des suffrages valablement exprimés de la présidentielle de 2018. Parmi les chiffres présentés, ceux des bulletins nuls, qui se comptent également ici à 52 716. Seulement, en faisant les calculs sur la base du tableau contenu dans le rapport d’Elecam, la somme des bulletins nuls est de 52 725. Soit une réduction de 9 bulletins. Le document n’apporte aucune explication à cette différence. Contacté également à ce sujet, Stephen Moki nous réfère au Directeur Général d’Elecam en indiquant qu’il n’est pas de la commission qui s’occupe de ces informations. DataCheck a déposé le 31 juillet 2025, une demande d’informations au Directeur Général d’Elecam via le service courrier. Six jours plus tard, précisément le 6 août 2025, DataCheck s’est rendu à nouveau à Elecam pour le suivi de son dossier. « La lettre est encore dans le circuit. Vous êtes sans ignorer ce que nous vivons ces jours-ci. Il fallait d’abord finir avec le contentieux préélectoral. Nous sommes sur le terrain. Il faut que la hiérarchie s’asseye, c’est elle qui doit voir comment confier le dossier à qui de droit. Vous l’aurez d’ici à la semaine prochaine », a-t-on confié à DataCheck au service du courrier d’Elecam. L’article sera mis à jour lorsque nous recevrons leur réponse.
En conclusion, la déclaration de Serge Henri Kelbe, militant du RDPC, selon laquelle il y a eu plus 1 800 000 bulletins blancs à l’élection présidentielle de 2018, est inexacte. Des articles de site d’informations, une note d’analyse, Elecam et un politologue démentent cette déclaration.
Romulus Dorval KUESSIE
Cet article a été produit dans le cadre du projet Partenariat pour l’intégrité de l’information, porté par DataCameroon, avec le l’appui technique de DataCheck et l’appui financier de l’Ambassade de France au Cameroun.
Partager la publication "Présidentielle : il n’y a pas eu 1 800 000 bulletins blancs en 2018"