Depuis une semaine, des publications devenues virales sur Facebook et Tik Tok notamment prétendent montrer l’exécution des “Kulunas” (bandits, Ndlr) condamnés à mort en République démocratique du Congo (RDC). Mais après vérification, aucune preuve d’exécution de ces malfaiteurs et la vidéo utilisée comme illustration est celle d’une répression policière d’une marche des étudiants à Kalemie, dans la province du Tanganyika, fin décembre 2024.
Le 9 janvier 2025, la page Facebook “N-Muyembi Officiel” suivie par plus de 11.000 followers publie une vidéo de 6 secondes avec en toile de fond une photo montrant des jeunes hommes debout, tous en bleu. La légende dit : “Les Kuluna exécuté. Triste, mais on n’a pas le choix. N’oubliez pas de vous abonner pour plus d’informations (Sic)”. Sur ladite vidéo, l’on voit aussi des policiers rassemblés près d’une station-service, faisant visiblement face à une foule. En sus, on peut entendre la détonation d’une arme à feu, son d’un coup de feu. Ce que les auteurs de ce post attribuent à l’exécution des “Kulunas” condamnés à mort en République démocratique du Congo (RDC). Jusqu’au lundi 27 janvier 2025, ce post comptait plus de 430 réactions et près de 93.000 vues.
Sur Tik Tok aussi, des vidéos de la prétendue exécution des “Kuluna” en RDC sont également publiées. À l’instar du compte dénommé “Cams’Toni” où cette vidéo a été publiée et vue par 6,3 millions de followers. La légende qui accompagne la vidéo dit : “Exécution des kulunas a été fait comme prévu. Plus de 70 jeunes (Sic)”. Même certains médias ont relayé cette nouvelle. C’est le cas par exemple du journal en ligne “L’actualité” dont l’article qui a pour titre : “Le Congo exécute 102 « bandits urbains » et 70 autres devraient subir le même sort est signé des noms de deux journalistes de l’Associated Press (AP). Mais sur le site de l’AP, nous avons retrouvé ledit texte dans lequel aucune affirmation de l’exécution des “Kuluna” n’est mentionnée ; si ce n’est l’annonce de “Plus de 170 détenus dans le couloir de la mort”, qui “ont été transférés par avion de la capitale du Congo vers une prison de haute sécurité dans le nord où ils seront exécutés, ont indiqué les autorités congolaises”, lit-on sur le site.
Ces publications sont faites dans un contexte où la RDC a rétabli la peine de mort depuis mi-mars 2024. En outre, dans une sortie médiatique le 06 janvier 2025 à Kinshasa, Constant Mutamba, le ministre congolais de la Justice, s’est montré ferme sur l’application “imminente” de la peine de mort. C’est après qu’il ait supervisé la troisième vague de transfèrement des “Kulunas” vers les prisons de haute sécurité, comme l’indique ce communiqué de la Cellule de communication du ministère congolais de la Justice. Cette 3ᵉ vague des “Kulunas” a débarqué à bord d’un avion en direction de la prison d’Angenga, située dans la province de la Mongala, le dimanche 05 janvier 2025.
Vérification
DataCheck a écrit via Messenger à l’administrateur de la page N-Muyembi Officiel pour en savoir davantage sur l’exécution des Kulunas annoncée sur leur plateforme. N-Muyembi Officiel nous a répondu : “Sur notre chaîne YouTube, Nathan Muyembi”. Nous avons parcouru une pile de vidéos sur ladite chaîne, et ainsi, retrouvé la vidéo similaire à celle qui fait l’objet de cette vérification. DataCheck a contacté le ministre congolais de la Justice, Constant Mutamba via messagerie WhatsApp, pour vérifier s’il est vrai que des “Kulunas” ont été exécutés. Mais il n’a pas répondu à nos questions.
Nous avons ainsi poursuivi nos recherches sur son compte certifié X (anciennement Twitter) où nous avons retrouvé cette réaction au sujet d’une éventuelle exécution des “Kulunas” récemment condamnés à mort en RDC. “RDC : Je n’ai accordé d’interview à aucun média, encore moins à l’AP sur les opérations de lutte contre le banditisme urbain (Zéro Kuluna -Ndobo) que mènent le ministère de l’Intérieur et celui de la Justice à travers le pays. La dépêche de l’AP a révélé de fausses informations. Je l’invite à la corriger conformément à la loi sur la liberté de la presse”, lit-on sur le compte X du ministre de la Justice.
Le ministre congolais de la Communication et Média, que nous avons également contacté via messagerie WhatsApp, n’a pas réagi jusqu’ici. Toutefois, le 6 janvier 2025, il a fait mention de la baisse de la criminalité urbaine à Kinshasa, capitale de la RDC, dans un briefing spécial avec son homologue de la Justice, Constant Mutamba, annonçant le transfert de 127 “Kuluna” dans la prison d’Angenga et de 60 autres dans celle de Luzumu, au Kasai-Central. Déjà, samedi 4 janvier et dimanche 05 janvier 2025, le ministère congolais de la Justice publiait deux communiqués au travers des médias tels qu’ACTUALITE.CD, 7SUR7.CD, voire Top Congo FM, annonçant le transfèrement des “Kulunas” récemment condamnés à mort vers des prisons de haute sécurité. Lesdits communiqués, rendus publics par Jeannot Mubenga, de la Cellule de communication dudit ministère et dont Data Check a eu copie, peuvent être consultés ici et là.
DataCheck a par ailleurs procédé à une recherche d’image inversée sur Google Lens avec une capture d’écran de l’une des vidéos parlant de l’exécution des “Kulunas”. Ce qui nous a permis de retrouver la vidéo initiale et dans quel contexte elle a été réalisée. Elle a été publiée sur le compte TikTok du nommé “Kayembe”, en date du 24 décembre 2024. Dans les commentaires, l’auteur de la publication précis en lingala (une langue locale couramment parlée en RDC, Ndlr) que la vidéo montre “la répression d’une marche de colère des étudiants de l’Université de Kalemie (UNIKAL), qui protestaient contre la spoliation de leur concession qui se trouve à Lukwangulo”. Une autre recherche avancée avec ces mots clés : “manifestation de colère, UNIKAL, Kalemie” nous a conduit vers cet article daté du 24 décembre 2024, titré : “ESU-Tanganyika: Manifestation de colère des étudiants de l’Université de Kalemie”.
Ce que prévoient les lois congolaises sur la peine de mort
En République démocratique du Congo, la peine de mort n’a jamais été abolie. Mais son exécution fait l’objet d’un moratoire depuis 2003 (lire la note circulaire relative à la levée dudit moratoire en cliquant ici). Ce moratoire a été levé mi-mars 2024.
Le ministre congolais de la Justice, Constant Mutamba, a défendu la reprise de l’exécution de la peine de mort lors d’un briefing à Kinshasa le 06 janvier 2025, affirmant qu’elle répond aux réalités sécuritaires actuelles du pays.
Toutefois, l’article 16 de la Constitution de la RDC prône la sacralité de la vie humaine et stipule : “La personne humaine est sacrée. L’État a l’obligation de la respecter et de la protéger. Toute personne a droit à la vie, à l’intégrité physique ainsi qu’au libre développement de sa personnalité dans le respect de la loi, de l’ordre public, du droit d’autrui et des bonnes mœurs. Nul ne peut être tenu en esclavage ni dans une condition analogue. Nul ne peut être soumis à un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Nul ne peut être astreint à un travail forcé ou obligatoire”. En ce qui concerne les mécanismes de son exécution, le ministre de la Justice rassurait en début décembre 2024 qu’une équipe des hauts magistrats civils et militaires est déjà mise en place pour “faire exécuter la peine de mort” sans toutefois préciser la période à laquelle les condamnés à mort seraient exécutés.
En conclusion, contrairement aux publications prétendant montrer l’exécution des “Kulunas” en RDC, il n’y a aucune preuve de cet acte. Deux communiqués du ministère de la Justice publiés informent plutôt sur le transfèrement des “Kulunas” vers des prisons de haute sécurité. En outre, la vidéo, qui accompagne lesdites publications, montre plutôt une répression policière d’une marche des étudiants à Kalemie, chef-lieu de la province du Tanganyika.
Muyisa Joël, en RDC (Stagiaire)
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