Dans une publication sur sa page Facebook, Bruno Bidjang, le Directeur Général des médias du groupe l’Anecdote a déclaré que la Douane camerounaise assure plus du tiers des recettes budgétaires nationales. Seulement, cette information n’est pas partagée par la Direction Générale du budget dont les données disent le contraire. Les économistes contactés sur ce sujet contestent eux aussi l’affirmation du journaliste.

Bruno Bidjang, le Directeur Général des médias du groupe l’Anecdote (qui comprend Vision 4 Tv, Radio Satellite Fm, le journal L’Anecdote et le magazine Afrique Express Ndlr) connu pour ses sorties pro régime  a déclaré ceci sur sa page Facebook : « Compte tenu de l’importance stratégique de la Douane, qui assure plus du tiers des recettes budgétaires nationales, et de l’urgence liée à la modernisation de ses infrastructures, la Présidence de la République a autorisé une procédure exceptionnelle prévue par la réglementation en vigueur ».

Datée du dimanche 23 novembre 2025, cette publication(archivée ici) devenue virale qui met en relief les recettes budgétaires des Douanes camerounaises survient au moment où l’adjudicataire de la construction du nouvel immeuble siège des Douanes camerounaises à Yaoundé fait débat. D’une durée d’exécution de 42 mois, soit environ 3ans 5 mois, ce marché a été attribué à China Machinery engineering corporation (CMEC) Sarl, une entreprise industrielle et commerciale chinoise fondée en 1978.

Parlant de recette budgétaire, l’économiste Jean Marie Biada explique qu’elle « est une ligne de ressource, parce que le budget c’est la présentation chiffrée d’un plan d’action, s’il faut parler de façon littéraire. Mais du point de vue de la finance publique, de la fiscalité ou de l’économie, c’est un ensemble de prévision de recettes et de dépenses. En termes simple, une recette budgétaire est une ressource financière qui a été inscrite dans la loi de finances initiale ou dans le collectif budgétaire et qui a été collectée par les sources de collecte de l’argent public ». Une définition qui n’est pas éloignée de celle de son confrère Dany Dombou. Elles « constituent l’ensemble des ressources financières autorisées par le Parlement dans le cadre de la Loi de Finances pour couvrir les charges de l’État au cours d’un exercice budgétaire. », renseigne l’économiste.

Le Guide didactique de la directive n° 04/2011-ueac190-cm-22 du 19 décembre 2011 relative à la nomenclature budgétaire de l’Etat défini les recettes selon le Manuel de statistiques de finances publiques 2001 du FMI (MSFP 2001) ; qui sont alors « une transaction qui augmente la valeur nette du secteur des administrations publiques ». Ces recettes peuvent être, conformément à cette définition, de cinq sources principales à savoir la fiscalité (impôts, taxes), les autres transferts obligatoires (comme les cotisations sociales), les revenus de la propriété provenant de la détention d’actifs, la vente de biens et de services, et les transferts volontaires en provenance d’autres unités institutionnelles.

Vérification

DataCheck a contacté Bruno Bidjang pour plus d’informations sur sa publication. Mais toutes nos tentatives pour le joindre ont été infructueuses. Idem pour celles à l’endroit des Douanes camerounaises. Contacté pour le même sujet, le ministère des Finances (Minfi) via sa cellule de la communication a promis de nous revenir après notre demande d’informations. Seulement, DataCheck n’a jusqu’ici, eu aucun retour dudit ministère. L’article sera mis à jour après réception de sa réponse.

Pour pousser la vérification, la rédaction s’est tournée vers le site de la Direction Générale du Budget (DGB), dans lequel le budget de l’année en cours et celui des précédentes années s’y retrouvent. D’ailleurs, selon les données de cette plateforme contenues dans la « Revue de l’exécution du budget de l’Etat à fin juin 2025 », les recettes budgétaires des Douanes camerounaises au premier semestre (30 juin 2025) ont atteint 546,1 milliards F Cfa, sur les 2 466 milliards F Cfa des recettes budgétaires nationales mobilisées. Une petite règle de trois pour vérifier l’assertion sous examen révèle que le tiers des recettes budgétaires nationales mobilisées équivaut à 822 milliards F Cfa. Un montant au-dessus de celui correspondant aux douanes.

Dans son rapport d’exécution budgétaire pour l’exercice 2024, la DGB expose à la page 3 de ce document, les données des recettes budgétaires. Intitulé « Ressources du budget général de l’exercice 2024 (en milliards) », le tableau contenu dans cette section révèle qu’en 2024, les réalisations des recettes budgétaires douanières ont été de 1056,3 milliards F Cfa. Soit un peu moins important qu’en 2023 où elles ont été de 1022,6 milliards F Cfa. Seulement, cette performance ne fait pas cette fois-ci encore, des Douanes, l’entité étatique contributrice au 1/3 des recettes budgétaires nationales. D’où l’impossibilité de dépasser ce quota comme mentionné dans la déclaration de Bruno Bidjang.


Les recettes

Dany Dombou explique que, « L’analyse des séries statistiques des cinq dernières années (2019-2024) démontre de manière univoque que cette affirmation n’est pas avérée. Si la Douane est un pilier essentiel de la mobilisation des ressources, sa contribution relative n’atteint pas le seuil de 33,3 % (un tiers) des recettes budgétaires totales, ni même des recettes internes propres. La structure des finances publiques camerounaises a évolué vers une prédominance de la fiscalité intérieure, phénomène qualifié de « transition fiscale. » Le Dr en économie précise qu’« en réalité, la contribution de la direction générale des Douanes oscille généralement entre 15% et 18% du budget total de l’État ces 5 dernières années. L’entité qui contribue le plus est la direction générale des Impôts (DGI). »

De façon claire, « si on se limite à cette déclaration sans nuancer, parce que la douane relève aussi de ce qu’on appelle la fiscalité de porte (l’ensemble des prélèvements, droits et taxes, et impositions de même nature, acquittés par les contribuables à l’occasion du mouvement des marchandises, des services et des capitaux à la frontière. Ndlr), c’est qu’elle est fausse. Les recettes budgétaires douanières n’assurent pas plus du tiers des recettes budgétaires nationales », renchérit Jean Marie Biada, économiste expert certifié de l’Organisation des nations unies pour le développement industriel (Onudi).

Dans un tableau intitulé « Part des Recettes Douanières dans les Agrégats Budgétaires (2020-2023) » dont la source est Investir au Cameroun, qui à son tour l’a tirée des Rapports d’exécution budgétaire du Minfi, Dany Dombou récapitule les recettes douanières réalisées entre 2020 et 2023. D’après ses explications, « même en excluant le pétrole et les emprunts, la Douane assure environ un quart (25 %) des recettes, et non un tiers. Si l’on inclut les recettes pétrolières et les emprunts pour parler de « recettes budgétaires nationales » au sens large, ce ratio descend sous la barre des 20 %. »

En clair, l’assertion selon laquelle la Douane assure plus du tiers des recettes budgétaires nationales n’est pas avérée. Des économistes et des calculs sur la base des données issues de la direction générale du budget battent en brèche cette déclaration de Bruno Bidjang.

Michèle EBONGUE