Mustapha Ngouana, avocat au barreau du Cameroun a indiqué à l’émission « Droit de Réponse » du 23 février 2025 sur Equinoxe télévision, qu’il n’y a pas une seule université camerounaise parmi les 3 000 premières dans le monde. Après vérification via des rankings tels que Unirank, Nature Index, Webometrics et US News & World Report, les universités camerounaises sont, dans certains de ces classements, comptées dans le top 6 000  et pour d’autres, dans les 1 500 meilleures au monde.

Mustapha Ngouana, avocat au barreau du Cameroun était l’un des panélistes de l’émission télévisée « Droit de Réponse », édition du 23 février 2025. Questionné sur le thème « immigration clandestine, vandalisme… : les jeunes écoutent-ils le Chef de l’État » ? il déclare :

« Il n’y a pas une seule université camerounaise parmi les 3 000 premières dans le monde ». Des propos tenus après 1h30min de débat et dont il affirme avoir déjà déclarés sur le même plateau, il y a plusieurs mois de cela.

«Droit de Réponse » est une émission de débat diffusée tous les dimanches, entre 12h et 13h30min, sur Equinoxe TV, une chaîne de télévision privée au Cameroun.

La vidéo cumule déjà 50 000 vues au 8 avril 2025 sur la chaîne YouTube d’Equinoxe TV.

Cette déclaration intervient au moment où les jeunes camerounais sont de plus en plus motivés par l’immigration.

Vérification

Joint au téléphone par DataCheck, Mustapha Ngouana réitère ses propos, cette fois-ci, en précisant sa source.  « Il n’y a pas une seule université camerounaise parmi les 3 000 premières au monde. Vous n’avez qu’à faire une recherche sur Unirank », martèle-t-il.

Unirank est un portail international d’enseignement supérieur et moteur de recherche proposant des évaluations et des classements d’universités dans le monde.

Une recherche sur l’édition 2024 du classement Unirank des universités camerounaises via le moteur Google, nous renvoie vers une liste complète de 28 universités du Cameroun, indiquant entre autres leur rang mondial et leur position au niveau national, en précisant leur score.

La première camerounaise classée sur cette plateforme est l’Université de Buéa. Elle apparaît au 5 396e rang mondial. Cette école est suivie de l’University de Bamenda, qui occupe la 11 566e place mondiale. Dans ce classement, l’Université de Yaoundé 1  n’arrive qu’à la 17 270e place mondiale, soit 6e national.


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D’après le classement Edurank qui regroupe plus de 14 000 meilleures universités mondiales, dont la dernière mise à jour date de mars 2025, l’Université de Yaoundé I est la première citée. Elle occupe la 3 437e place et est suivie par l’Université de Buéa au 3 470e rang, puis de l’Université de Dschang, qui est le 3 819e mondial.

Comme Edurank, le dernier classement de Scimago Institutions ranking de 2025 positionne l’Université de Yaoundé I au premier rang camerounais. Sauf qu’ici, elle est 7 435e mondiale.

Constant Fouopi, Professeur agrégé en économie et directeur du Laboratoire d’économie publique de Yaoundé à l’Université de Yaoundé II explique cette disparité. « Chaque organisme a ses critères pour faire son ranking. Ces critères ne sont pas communs, mais dépendent de la philosophie et de l’objectif à atteindre par chaque institution. Mais toujours est-il que les informations qu’ils utilisent pour faire ces classements relèvent de la «Web métrie », des informations tirées des sites internet ».

Pour pousser la vérification, Datacheck a également consulté le classement 2024 de Nature Index, qui a énuméré plus de 5 000 universités dans le monde. Et cette fois-ci encore, la première école camerounaise sur la liste est l’Université de Yaoundé 1, qui se positionne au 2 774e rang. Dans le même temps, sur plus de 30 000 universités enregistrées dans le classement Webometrics mis à jour en janvier 2025, le Cameroun occupe la 2 957e place, grâce à l’Université de Dschang. La même institution occupait le 3 065e rang dans ce classement en 2024.

US News & World Report qui regroupe 2 250 universités, classe lui aussi l’Université de Yaoundé I en pole position au Cameroun dans son classement 2024-2025. Précisément à la 1 089e place.

Fiabilité

D’après US News & World Report, ces classements se concentrent exclusivement sur la recherche académique et la réputation globales des établissements. « Un critère parmi d’autres, et non le seul, pour déterminer où postuler. Ce classement évalue la recherche universitaire et la réputation, mais des critères personnels, comme la localisation, la culture du campus, la qualité des programmes et le coût, sont également très importants », lit DataCheck.

Selon Aristide Mono, Docteur en sciences politiques à l’Université de Yaoundé II et Directeur de la Société camerounaise d’Intelligence et de Recherches (Scir), ces « critères de classement sont généralement mis à la disposition du grand public et lorsqu’on essaye de regarder quels sont les éléments qui constituent leur ossature, on a des éléments purement objectifs. »

Contrairement à lui, Laurent Charles Boyomo Assala, Professeur titulaire des universités et ancien Directeur de l’École supérieure des sciences et Techniques de l’Information et de la Communication (Esstic) remet en question la crédibilité de ces classements. Car pour lui, « le problème de ce genre de référence, c’est qu’elle travaille sur la base d’une sorte d’absolutisme du nombre. C’est-à-dire qu’on considère qu’il y a un certain nombre de critères qui sont fixés et qui sont en quelque sorte crédités d’un certain chiffre, dans un processus ordinal et par conséquent, on sait que quand vous avez 20 sur 20, vous avez atteint le maximum de ce qui est attendu. On ne veut pas tenir compte des conditions dans lesquelles vous travaillez pour avoir 20 sur 20 », croit-il savoir.

À ce sujet, Claude Abé, Professeur en sociologie à l’Université catholique d’Afrique centrale (Ucac) relève que « Si vous comparez une université américaine avec une université camerounaise, à mon avis, la comparaison est biaisée. Les deux ne s’adressent pas aux mêmes défis, aux mêmes challenges ». D’ailleurs, la revue « L’enseignement supérieur en Europe » de l’Unesco dans son volume 30 publié en 2005 indiquait qu’« il serait impossible de classer la qualité de l’enseignement supérieur dans le monde entier, du fait des immenses différences entre les universités et de la grande variété de pays, et du fait des difficultés techniques inhérentes au processus de collecte de données comparables sur le plan international. »

Première de couverture de la Revue l’Enseignement supérieur en Europe Volume 30 ©Unesco

Parmi les obstacles au classement des universités camerounaises à l’international, Aristide Mono relève l’inadaptation de ces institutions. « Nos universités sont généralement d’anciens collèges ou lycées transformés. Il n’y a pas des amphithéâtres ou des édifices appropriés qui sont mis sur pied. On note parfois une surpopulation estudiantine qui est agglutinée dans des petits bâtiments étroits et les cadres ne sont pas les plus favorables à la condition de dispensation des cours », indique-t-il.

Laurent Charles Boyomo Assala va plus loin, en évoquant l’aspect financier. « Pour faire de bonnes recherches, il faut avoir de bons moyens financiers. Les universités africaines, voire camerounaises qui ont les moyens, sont très peu nombreuses. Je pense qu’il faut qu’on se donne les moyens humains et matériels pour y arriver. Si une université n’a pas d’infrastructure de base, de laboratoire… comment voulez-vous la mettre en concurrence avec des universités japonaises ou chinoises ? La moindre université dans certains pays a dix fois le budget de quelques États africains », argue Laurent Charles Boyomo Assala.

Le problème des universités camerounaises, comme l’indique Constant Fouopi, est « qu’elles ne communiquent pas beaucoup. La plupart des sites internet sont inactifs, alors qu’au sein de nos universités, il se déroule pas mal de choses qui pourraient être valorisées et de ce fait, améliorer notre classement. Beaucoup d’universités qui sont bien classées ne font pas la moitié de ce que nous faisons dans nos universités, or les critères sont basés sur la web métrie. Raison pour laquelle elles ne vont pas remplir certaines conditions pour être mieux classées. Les institutions de classement ne se baladent pas dans les universités pour recueillir ces informations », explique le directeur du Laboratoire d’économie publique.

En conclusion, la déclaration de Mustapha Ngouana, avocat au barreau du Cameroun selon laquelle aucune université camerounaise n’apparaît dans le classement des 3 000 meilleures dans le monde est partiellement vraie. Dans son classement de 2024, Unirank place la première université camerounaise au 5 396e rang mondial, tandis que Nature Index sur la même période, positionne la première école camerounaise à la 2 774e place.      

Romulus Dorval KUESSIE