Un journaliste camerounais reconvertit en politologue, Pierre Nka a indiqué sur son compte Facebook que la présidentielle de 2018 a eu le plus faible taux de participation depuis 1992, malgré les réseaux sociaux. Après vérification au travers des rapports, des études, un graphique et auprès d’un politologue, cette assertion est exacte.  

Pierre Nka, ancien journaliste au quotidien de l’Economie (un journal spécialisé au Cameroun), et désormais politologue, écrit sur son compte Facebook : « Malgré les réseaux sociaux, la présidentielle 2018 a le plus faible taux de participation depuis 1992. #senspolitiquecmr (Sic). »

Publié le 12 mai 2024, ce post qui a généré plus de 50 commentaires intervient au moment où des personnalités publiques appellent aux inscriptions massives sur les listes électorales. Ceci en vue de l’élection présidentielle prévue en 2025 au Cameroun.

Vérification

Joint au téléphone pour en savoir plus et notamment la source de cette déclaration, Pierre Nka, l’auteur de la publication répond : « C’est le travail d’un politologue, enseignant à l’université de Yaoundé II. Et quand je l’ai lu, je me suis dit qu’il faut relever cela (…) Vous en parlez parce que je n’ai pas utilisé les canaux scientifiques pour parler de cela. (Sic)»

En déplacement dans une zone pas très couverte par le réseau téléphonique, a-t-il indiqué, Pierre Nka a promis à DataCheck d’envoyer le document source, après l’envoi d’un message Whatsapp. Seulement, aucun document n’a été partagé avec nous. « Georges Macaire Eyenga a produit en 2023, un article sur les questions électorales. Tout est parti de ceci (…) », écrit Pierre Nka après notre relance. Peu de temps après, il envoie  une vidéo YouTube intitulée : « Littérature politique : 2023, un chercheur scanne les techniques d’Elecam ». La vidéo dont il en est également l’auteur, dure plus de 20 minutes et évoque principalement les doublons enregistrés durant les élections présidentielles au Cameroun.

De 12’39 à 13’59, il renseigne sur le taux de participations aux élections présidentielles depuis 1992. « La participation de 2018 à la présidentielle certes surmédiatisée est inférieure à celle des années antérieures. En 2018, on était à 58%. Ce qui rompt avec l’ampleur de 71,87% en 1992. 87% en 1997, 79,52% en 2004 et 61, 28% en 2011. Il faut donc le dire de manière péremptoire, en l’absence de la flambée des réseaux sociaux, il y a eu une forte participation électorale par le passé et celle qui a lieu pendant la montée en puissance des réseaux sociaux se présente comme celle qui a été la moins courue de l’histoire de la participation aux élections présidentielles depuis le retour au multipartisme dans les années 90 », écoute-t-on dans le film.

Made with Flourish

Elecam

Joint au téléphone, Election’s Cameroon (Elecam), l’organe en charge d’organiser les élections au Cameroun, confie que l’obtention des rapports sur la participation des élections présidentielles nécessitera de longues heures de fouille aux archives, mais qu’ « en 1992, Elecam n’existait pas encore, C’est l’Onel qui s’occupait des élections. Elecam commence ce travail en 2011 », renseigne Elecam, en poursuivant : « Retournez à la délégation régionale du Littoral, les informations que vous recherchez sont contenues dans les rapports des élections… ». Plus tard, Elecam envoie à DataCheck le lien de son site, en indiquant qu’il contient des rapports des élections.  Un clic sur l’onglet documentation, nous y retrouvons quelques rapports d’élections au Cameroun. Seulement, le seul document axé sur les élections présidentielles contenu dans cet espace est celui de la présidentielle de 2011. Il est intitulé rapport général sur le déroulement de l’élection présidentielle du 9 Octobre 2011. De ce document de 245 pages, il ressort entre autres que le pourcentage de participation de l’élection présidentielle de 2011 est de 65,82%.

Les autres institutions

Sur cette question de taux de participation aux élections présidentielles, Félix Marcel Obam, président du comité de direction de Dynamique citoyenne, un réseau d’Organisations de la Société Civile (OSC) camerounaise engagé dans le suivi indépendant des politiques publiques et des stratégies de coopération  joint par appel téléphonique, répond : « Nous n’avons pas fait une étude suivie en terme du taux de participation nous, nous avons fait des observations dans certains bureaux de vote, mais pas dans l’ensemble du territoire national. Maintenant, ce sont les résultats officiels qui déterminent le taux de participation. Nous, n’avons que des données partielles à partir desquelles nous ne pouvons que faire une spéculation. »

DataCheck a également contacté par appel puis par messagerie Whatsapp, le Minat qui a organisé les élections avant la création de l’Observatoire national des élections (Onel) en 2000 remplacé par Elecam en 2006. « Les documents de 1992 ne sont pas disponibles aux archives du ministère de l’Administration territoriale par contre ceux-ci sont disponibles aux services d’Elecam  et aux services de la cour suprême », confie la cellule de la communication, sans donner plus de détails.

Les autres recherches

Perspective Monde, un site de l’école de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke, au Canada a représenté, par une courbe, la participation aux élections présidentielles (personnes inscrites) au Cameroun. D’après ce graphique qui va de 1988 à 2011, l’élection de 1997 est celle qui a enregistré la plus forte participation, grâce à son pourcentage de  87.00%.

Made with Flourish

Un article d’Anadolu Ajansi(aa), une agence de presse Turque publié le 22 octobre 2018 et mis à jour le lendemain, indique que « selon le Conseil constitutionnel, Paul Biya a obtenu 2 521 758 voix sur un total de 6,6 millions d’électeurs inscrits et dont seulement 3,5 millions ont voté, soit un taux de participation de 53,86%. » Un pourcentage qui n’est pas éloigné de celui publié par Le Réseau des compétences électorales francophones (Recef), une association regroupant des commissions et des administrations électorales de l’espace francophone dont les données de l’élection présidentielle de 2018 évoquent un taux de participation de 53,85 %.

Avec Osidimbea, un site qui se présente comme la mémoire du Cameroun, le ration des votes de des élections présidentielles durant ces 5 années ne peuvent se faire, car toutes n’y sont pas indiquées. Seul le total des votes à l’élection présidentielle de 1997, 2004 et 2011 sont contenus dans ce document. Ceux de 1992 et 2018 n’y sont pas dévoilés.

Joint par messagerie WhatsApp puis rencontré à l’Université de Douala, Alphonse Bernard Amougou Mbarga, Professeur de science politique, confirme l’assertion de Pierre Nka. « Avec un pourcentage de 53,85%, l’élection présidentielle du 07 octobre 2018 a effectivement connu le taux de participation le plus bas au regard des différents chiffres des élections présidentielles au Cameroun depuis 1992(…) D’ailleurs, la guerre dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest a contribué à baisser ce taux de participation. En effet, beaucoup d’électeurs de cette zone, déplacés internes ou par peur n’ont pas pu voter », confie-t-il.

Ce faible taux de participation peut, selon lui, s’expliquer par plusieurs facteurs, dont les victoires régulières de Paul Biya, président du Cameroun depuis 1982 ; la fraude décriée par l’opposition, la mise en placez de la biométrie qui a vu la refonte du fichier électoral a fait diminuer la masse des électeurs, etc. Ce qui a « certainement créé une désaffiliation des électeurs par rapport au jeu politique », a indiqué Alphonse Bernard Amougou Mbarga.

En conclusion, la présidentielle de 2018 est bien celle qui a le plus faible taux de participation depuis 1992. Des rapports, des articles, une courbe dynamique et un politologue le démontrent.

Michèle EBONGUE