Des publications devenues virales sur Facebook montrent des élèves assis dans des toilettes transformées en salle de classe. Attribuées au Lycée classique de Bafoussam, il ressort après vérification qu’il s’agit bien des images de cette école.

Quatre photos d’élèves assis sur des table-bancs dans une salle de classe semblable à des toilettes défilent sur Facebook depuis plusieurs semaines. Les écrits qui accompagnent ces images révèlent qu’il s’agit du Lycée classique de Bafoussam, une école située dans le département de la Mifi, région de l’Ouest Cameroun. Publiées le 1er octobre 2021 sur la page N’Zui manto Yi sep sep, dont le nombre d’abonnés se chiffre à 44 497, ces images avaient déjà généré 833 réactions, 233 commentaires et 162 partages le lundi 8 novembre 2021 à 14h.

Intitulé « KAMALOUM NEWS LES ÉLÈVES DU LYCÉE CLASSIQUE MODERNE DE BAFOUSSAM FONT COURS DANS LES TOILETTES ! (Sic) », la publication montre des garçons et filles en uniforme de classe de couleur bleue, assis sur des table-bancs contenant des cahiers. Ces élèves regardent pour la plupart, dans la direction du tableau noir, collé sur un mur partiellement carrelé. Sur les photos, les côtés du mur ne sont pas les seuls coins qui contiennent les carreaux. Le sol en a également. Et tout comme les murs, ils sont posés par endroit, avec des espaces contenant du siphon. Le type de carreaux et le syphon au sol porte à croire qu’il s’agit bien des toilettes qui, visiblement, ont été transformées en salle de classe.

Vérification

Joint au téléphone, Denise Mbonjawo, proviseure du Lycée classique de Bafoussam, déclare d’un ton péremptoire, qu’il ne s’agit pas du lycée dont elle a la charge, sans en dire plus. Rendu à cette école le dimanche 7 novembre 2021, Philippe Malong, un confrère résidant à Bafoussam révèle l’existence d’une salle de classe semblable à celle sur les photos. « Cette salle fait certes partie du bloc des 6e, mais de là où je suis (fenêtre), je ne peux savoir s’il s’agit d’une 5e ou d’une 6e. Mais de toute évidence, au regard des images, cette pièce n’était pas à l’origine destinée à être une salle de classe », témoigne-t-il. En ajoutant : « Le carrelage (sur les murs et sur le sol), l’ancienne tuyauterie dont les entrées sont encore visibles…montrent que vraisemblablement, ce sont des anciennes toilettes. Vues à travers les fenêtres, aucune autre salle de classe n’est semblable à celle-là. Au moins, c’est confirmé qu’une salle avec un tel aspect existe bien ici au lycée classique ». Au risque de se faire prendre par les vigiles qui sillonnent les bâtiments de cette école, Philippe Malong n’a pas d’autre choix que de faire des photos depuis la fenêtre de cette classe. Les vigiles lui avait préalablement interdit l’accès à l’établissement.

Joint également au téléphone, François Ngabnya, délégué régionale des Enseignements secondaires (Minesec) pour l’Ouest, affirme qu’il s’agit bel et bien du Lycée classique de Bafoussam. « Les images que vous avez sur les réseaux sociaux sont exactes, c’est la 5e M8 du Lycée », avoue-t-il. Sauf que, contrairement à la publication qui « incrimine » la proviseure du lycée, François Ngabnya indique qu’il s’agit d’un acte de sabotage à l’endroit de cette dernière. « Il y a une hyperbolisassions des informations sur les réseaux sociaux.  En réalité, j’ai causé avec Mme le proviseur, elle me dit que c’est un acte de sabotage. Il y a un professeur qui lui met des bâtons dans les roues depuis 2 ans et se comporte souvent comme ça », explique-t-il.

Quelques semaines plus tard, cette fois-ci un jour de classe, le reporter n’est toujours pas autorisé à accéder aux salles de classe. Il est stoppé à quelques mètres du portail intérieur par trois vigiles qui filtrent les entrées. Impossible de poursuivre la démarche entamée.  Philippe se rabat vers les élèves qui sillonnent à l’extérieur du lycée ce matin de vendredi 19 novembre 2021. « Cette salle de classe existe depuis plus de 4 ans. Nous y avons pris des cours lorsqu’on était encore au 1er cycle », renseignent quelques élèves du second cycle qui ont requis l’anonymat de peur de représailles. A les croire, cette salle n’est pas la seule dans cet état. La 5e 1, l’est également. Un témoignage que livre aussi un enseignant de cet établissement qui n’a ni souhaité décliner son identité, ni souhaité dire quelle matière il enseigne pour la même raison que les élèves.

La salle indexée filmée (en cachette) le dimanche 07 novembre 2021 à plus de 17heures

Les Outils utilisés

Pour cet exercice, nous avons fait recours à trois outils de vérification à savoir : TinEye, Google image reverse et SmallSeotools. Seulement, aucun résultat n’était semblable à la publication. SmallSeotools nous a présenté le sol et des murs de toilettes qui ne ressemblent pas à ceux publiés sur Facebook, idem pour Google image reverse. Tandis que TinEye révèle qu’aucune image ne correspond à celle inscrite sur le moteur de recherche. Ce qui laisse croire en l’authenticité de ces photos.

L’avis médical

Sollicité par Data Cameroon, Dr Steve Mukam, médecin généraliste, explique que les toilettes sont de puissants réservoirs des microbes. Et ceux-ci font de la sporulation. C’est-à-dire, se recouvrent d’une coque afin d’être toujours présents sur le sol ou dans l’environnement après plusieurs années. « Même si le nombre d’années est élevé, je ne conseillerai pas d’utiliser des toilettes pour en faire des salles de classe. Ces microbes peuvent être ingérés ou être portés par les élèves, et les infecter. Et lorsqu’ils trouvent des conditions plus favorables, ils vont devenir pathogènes et entrainer des maladies chez ces personnes-là », confie-t-il.  En ajoutant que le nettoyage, le lavage, l’asepsie et toutes les autres méthodes ont certes pu réduire les germes, mais il est difficile de les détruire à 100%. Ces images ont été publiées 2 semaines seulement après celles sur le Lycée bilingue de Kaï-Kaï dans l’Extrême-Nord, qui montraient des élèves assis à même sol dans une salle de classe.

Michèle EBONGUE et Philippe MALONG, à Bafoussam