Dans un article publié le 14 décembre 2020 sur Ritimo, un site d’information qui privilégie l’expression des citoyens, des associations et des mouvements sociaux de tous les continents, Dr Owonikoko Saheed Babajide, chercheur au Centre for Peace and Security Studies de l’Université de Modibbo Adama au Nigéria a affirmé que du fait du rétrécissement du Lac Tchad, il ne reste de l’eau qu’au Tchad et au Cameroun. Les rives côté Nigéria et Niger sont complètement à sec. Après vérification auprès d’un hydrologue, des géographes, des cartographes et via des études, il est difficile d’attester ou d’infirmer les conclusions de cette étude.

Le 14 décembre 2020, Ritimo, une plateforme numérique présentée comme «un réseau d’information et de documentation pour la solidarité internationale et le développement durable» a publié une analyse  intitulée : «Région du bassin du Lac Tchad : la paix passe par l’eau et non par les armes». Dans ce document, Owonikoko Saheed Babajide, expert en médiation et soutien pour la paix à l’université de technologie de Modibbo Adama de Yola au Nigeria affirme que : «Du fait du rétrécissement du lac, il ne reste de l’eau qu’au Tchad et au Cameroun. Les rives côté Nigéria et Niger sont complètement à sec». Cette étude scientifique est une traduction française d’une publication en langue anglaise de The Conversation Africa, un site d’informations et d’opinions qui promeut le journalisme indépendant et les travaux de recherche sur divers sujets, parut le 30 septembre 2020.

Cette assertion intervient à la  suite de l’émission des thèses scientifiques sur la situation réelle du Lac Tchad. Avec d’une part, des affirmations sur l’assèchement progressif du lac du fait en partie des changements climatiques. Et d’autre part, de son non assèchement qu’on retrouve dans des articles  ici,  ici  et .

Vérification 

Contacté sur Twitter puis par mail, Dr Owonikoko Saheed Babajide a fait savoir que l’article qui le cite comme source est une synthèse d’une étude scientifique de 29 pages, co rédigée avec  le Dr Jude Abdulkareem Momodu, également chercheur au Centre for Peace and Security Studies de l’Université de Modibbo Adama..

«L’article paru dans The Conversation est un résumé d’une recherche plus vaste que j’ai menée avec un collègue et qui est jointe à cet e-mail. Vous trouverez la preuve à la page 5 de l’article. Elle montre que depuis 2007, la teneur en eau de la partie nigériane et nigérienne du Lac Tchad s’est considérablement asséchée», a indiqué Dr Owonikoko Saheed Babajide en nous envoyant le rapport d’étude de 29 pages.

La page 5 du document écrit en anglais que DataCheck a traduit en français via le traducteur Deepl Translate, montre deux figures du Lac Tchad. La première est un ensemble de 5 cartes du bassin, provenant d’une série d’images satellitaires produites par la National Aeronautics and Space Administration(Nasa), une agence gouvernementale américain qui explore l’inconnu dans l’air et l’espace, innove au profit de l’humanité et inspire le monde par la découverte.

Ces cartes décrivent les étapes de la transformation du Lac Tchad en 5 ans, dont 1963, 1973,1987, 1997 et 2001. A les observer, les marques bleues, indicateurs de la présence de l’eau varient selon les années. Mais à partir de 1987, le Niger ne contient plus d’eau. Une situation qui va s’accentuer en 2001, avec l’assèchement du Nigéria. « Les images satellites qui ont été prises en étude depuis les années 60 70 présentent le Lac Tchad. Sur toutes ces images, on constate non seulement un assèchement important mais aussi que le Lac Tchad se rétrécit», explique Mesmin Tchindjang, géographe, enseignant au département de Géographie à l’Université de Yaoundé 1.

Évolution de la surface du lac Tchad. NASA 2002 Evolution of the surface of Lake Chad. Nasa 2002

Assèchement régulier

D’après un article publié en 2011 dans l’Hydrological Sciences Journal, une revue internationale destinée à l’échange d’informations et de points de vue sur les développements importants de l’hydrologie dans le monde, «le Lac Tchad a légèrement diminué au cours des deux dernières décennies, principalement dans le bassin nord en raison de l’augmentation de l’évaporation et de la couverture végétale, ainsi que de la diminution du débit du Komadugu Yobe», lit-on dans le document.

Le Komadugu Yobe est est un fleuve affluent du Lac Tchad formé par la réunion des fleuves Hadejia et Komadugu Gana. Situé entre le Nigéria et le Niger, il forme la frontière entre les deux pays sur environ 150 km et coule sur un total de 320 km pour se jeter dans l’extrémité ouest du Lac Tchad.

Avec l’El Beïd, une rivière qui sépare la ville nigériane de Gambarou de la ville camerounaise de Fotokol et d’autres petites rivières, le Komadugu Yobe fait partie de ces tributaires qui contribuent pour 10% à l’alimentation en eau du Lac Tchad. Dans «Le fonctionnement Hydrologique du Lac Tchad», un article extrait d’un ouvrage collectif publié en 2014 par l’IRD Éditions sous le titre de : «Le développement du lac Tchad : situation actuelle et futurs possibles», le chercheur français Jacques Lemoalle parle du Komadugu Yobe comme étant «à sec pendant plus de la moitié de l’année».

Chari et Logone

Le 30 août 2024, DataCheck s’est rendu au Centre de Recherche en Imagerie Spatiale (CRIS), de l’Institut de Recherche Géologiques et Minières (IRGM) basé à Nkolbisson à Yaoundé. En l’absence du chef de centre, nous avons eu le Dr Salomon César Nguemhe Fils, Maître de Recherche au CRIS, spécialiste en télédétection appliquée aux géosciences. Au sujet des images satellitaires actuelles du lac, il explique: «Les données cartographiques sont généralement générées à partir du traitement des images des satellites de l’Observation de la Terre et rendues disponibles aux usagers suite à une étude et/ou une sollicitation de leur part. C’est à titre d’exemple, le cas pour la cartographie de la dynamique de la Surface du Lac Tchad. Ces images satellitaires constituent de véritables supports pour observer la dynamique spatio-temporelle de la superficie occupée par l’eau. Ces résultats cartographiques ne sont par conséquent pas encore disponibles au CRIS.»

Romaric Ntchantchon, hydrologue et chercheur au Centre de recherche sur l’eau et les changements climatiques (Crecc) à Nkolbisson à Yaoundé que nous avons rencontré, puis joint par messagerie Whatsapp, a affirmé au sujet de l’assèchement des rives du Niger et du Nigeria du Lac Tchad:  «Effectivement, le Lac Tchad est à sec au Niger et au Nigéria. Cette situation est plus appréciable à partir d’une bathymétrie [l’étude des profondeurs marines des étages d’un océan (ou d’une mer) ou, en eau douce, d’un lac Ndl]. Cependant, on peut retenir que l’eau doit se trouver dans les parties les plus profondes du lac ou les parties les mieux arrosées par les affluents du Lac Tchad. En dehors des effets de surface, il y a une infiltration des eaux dans le souterrain et ces eaux ne sont pas visibles.»

L’analyse de Christophe Gana, géographe, cartographe et consultant en systèmes d’information géographique va  dans le même sens que celle de Romaric Ntchantcho.  «Le Lac Tchad a connu une réduction significative de son volume d’eau au cours des dernières décennies, principalement en raison de facteurs tels que le changement climatique, la surexploitation des ressources en eau pour l’agriculture et l’irrigation, ainsi que des variations saisonnières. Cette situation a entraîné un assèchement des rives dans certaines zones, notamment celles du Niger et du Nigeria, où l’accès à l’eau est devenu de plus en plus limité», confie-t-il.

Parmi les causes de ce phénomène, Romaric Ntchantcho cite entre autres, l’évaporation et l’avancée du désert. Un point de vue que Christophe Gana résume aux effets du climat et de l’activité humaine. «L’assèchement des rives du Niger et du Nigeria est un phénomène complexe qui a des causes multiples, notamment les changements climatiques, l’activité humaine et la gestion des ressources en eau. Les premières indications d’un assèchement significatif des rives du Niger remontent aux années 1970, lorsque des études ont commencé à documenter la baisse des niveaux d’eau dans le fleuve. (…) Dans les années 1980 et 1990, des recherches ont montré que l’assèchement était lié à des pratiques telles que la déforestation, l’agriculture intensive et la construction de barrages, qui ont modifié le régime hydrologique naturel»,analyse le géologue.

Les plateformes d’open sources

En explorant Global Water Watch, une plateforme numérique de données satellitaires sur les lacs, les réservoirs, les cours d’eau, les zones humides et le niveau moyen global de la mer. L’indication Lac Tchad sur la barre de recherche nous renvoie à une image avec des blocs colorés en bleu. Un clic dessus nous renvoie à une image avec des noms, dont la plupart sont ceux des villes du Tchad.  Le cas de Toutou  Kairoti, Yongo Koura et Mipam Kologo.

Une capture d’écran de l'image satellitaire du Lac Tchad de 2024. 

Évolution de la surface du lac Tchad. NASA 2002 Evolution of the surface of Lake Chad. Nasa 2002

Une capture d’écran des recherches sur Google Map ©Fatima

Une capture d’écran des recherches sur Google Map ©Fatima/center>
Comme avec Global Water Watch, la carte de Google Map laisse voir des zones bleues qui marquent la présence de l’eau. «Ces images sont celles de 2023. Et sur ces images, la couleur bleue représente l’eau. Si on prend l’exemple de cette année, avec les pluies actuelles, les inondations qu’on observe, on ne peut pas dire que du côté du Niger et du Nigeria, on n’a pas d’eau(…) les pluies torrentielles de cette année au Sahara et au Sahel sont des pluies dites de 5 ans qui s’abattent en une seule année», explique Fatima, géologue et cartographe numérique nigérienne.

En conclusion, bien que ce soit le rendu d’une étude scientifique, les experts ne s’accordent pas sur le résultat selon lequel, les rives du Niger et du Nigeria sont à sec. En effet, après les échanges avec des hydrologues, géographes, cartographes, il est difficile d’attester ou d’infirmer ce résultat d’étude. Car, tandis que certains soutiennent que les rives du lac côté Niger et Nigéria sont à sec, d’autres affirment le contraire, en raison des inondations que connaissent actuellement les pays du sahel et du Sahara.

Elsa Kane Njiale 

Cet article a été rédigé dans le cadre de la 1ère cohorte des académies de Fact-checking, initiées par ADISI-Cameroun. Un projet financé par CJID avec l’appui technique de DataCheck.