le Cameroun n’est ni le 1er en Afrique, ni le 18e au monde en terme de Potentiel énergétique

Au cours de l’émission «Equinoxe Soir » diffusée sur  Equinoxe Tv le 16 août 2024, Michèle Dikoume, une militante du RDPC a affirmé que selon un rapport de la Banque mondiale, le Cameroun est 1er en Afrique et 18e au monde en matière de potentiel énergétique. Après vérification sur le site de la Banque mondiale, auprès des électrotechniciens et des ingénieurs en énergie renouvelable, cette déclaration est fausse. Le Cameroun est d’après une publication de la Banque africaine de développement qui date de 2019, le 2e en Afrique et le 18e  au monde en matière de potentiel hydroélectrique.

Équinoxe soir, est une émission de décryptage de l’actualité diffusée de lundi à vendredi, entre 19h- 21h sur Équinoxe Télévision, une chaîne à capitaux privés au Cameroun.

Au 1er octobre 2024, l’émission du 16 août a enregistré plus de 8 000 vues sur la page YouTube de la chaîne.

Elle intervient six jours après l’annonce de la Natchigal Hydropwer Company, sur l’injection de 60 nouveaux mégawatts dans le Réseau interconnecté Sud, après les premiers 60 mégawatts injectés le 10 mai de l’année en cours(2024).

La Natchigal Hydropwer Company est présentée comme une société anonyme camerounaise créée le 7 juillet 2016, avec pour mission la conception, le financement et la construction de l’aménagement hydroélectrique de Nachtigal, situé à 70 km au Nord-Est de Yaoundé sur le fleuve Sanaga, et d’une ligne de transport pour l’évacuation de l’énergie jusqu’à son poste de raccordement à Nyom 2 au Nord de Yaoundé.

Vérification

Jointe par appel téléphonique, Michèle Dikoume dit avoir fait fausse route lors de son passage sur «Equinoxe soir». « Je me suis trompée. C’est plutôt un rapport de la Banque africaine de développement. Et le Cameroun est plutôt 2e en Afrique et 18e dans le monde (Sic)», avoue-t-elle. Malgré cette confidence, Michèle n’a fait aucune sortie rectifiant sa déclaration. Aucun post sur la page facebook d’Équinoxe Tv, encore moins sur ses comptes Facebook et Twitter. Par ailleurs, la promesse faite à DataCheck de revenir avec d’amples informations n’a pas été tenue, jusqu’au moment de la publication de cet article.

Rendu sur le site de la Banque africaine de développement (BAD), le clic sur le thème «Energie » de la rubrique secteur ne renvoie à aucune information allant dans le même sens de la déclaration de vérification, encore moins la version corrigée. A la place, nous avons trouvé une publication qui date du 14 octobre 2019, intitulée : « Cameroun : trois centrales électriques financées par la Banque africaine de développement pour réduire les délestages ». Il y est indiqué que « Avec une puissance hydroélectrique potentielle estimée à 23 000 MW, le Cameroun est le deuxième pays du continent africain en termes de potentiel hydroélectrique et le 18ème à l’échelle mondiale. Dans la perspective de son émergence à l’horizon 2035, le pays compte développer son industrie. La construction de la centrale hydroélectrique de Nachtigal a débuté en 2019 et devrait s’achever dans environ cinq ans, avec une capacité de production estimée à 420 MW ».

La Direction générale du trésor de la République Française  relevait déjà dans un article publié le 23 août 2019 que « le Cameroun bénéficie d’un potentiel énergétique important, notamment grâce à sa capacité hydroélectrique. Selon la Banque mondiale, le pays se place au deuxième rang sur le continent africain en termes de puissance potentielle estimée (23 000 MW), derrière la République démocratique du Congo.»

Une autre recherche par mots clés nous a renvoyé vers une publication de la Banque mondiale intitulée: « Potentiel transformateur de l’industrie minière : une opportunité pour l’électrification de l’Afrique subsaharienne ». Ce document de 191 pages contient un tableau nommé «les ressources énergétiques en Afrique subsaharienne», qui laisse voir que le Cameroun est classé 5e pays en Afrique subsaharienne, en matière de potentiel en hydroélectricité, après la République démocratique du Congo, l’Éthiopie, Madagascar et l’Angola.

Tableau extrait du rapport de la Banque mondiale sur le potentiel énergétique en Afrique

Tableau extrait du rapport de la Banque mondiale sur le potentiel énergétique en Afrique

C’est quoi le potentiel énergétique?

Boris Mouafo est ingénieur en énergies renouvelables. Joint par DataCheck dans le but d’avoir plus d’informations sur ce qu’on entend par potentiel énergétique, Boris fait savoir qu’il renvoie à « l’ensemble de sources d’énergie disponibles localement et pouvant être exploitées afin de satisfaire les besoins énergétiques de la population.» A cette même question, Guy Hervé Afanembeung, ingénieur en électrotechnique fait savoir que « le potentiel énergétique d’un pays fait référence à la quantité totale d’énergie que ce pays pourrait théoriquement produire en utilisant toutes ses ressources naturelles disponibles dont les énergies renouvelables comme l’hydroélectricité, l’énergie solaire, l’éolienne, le géothermique, ainsi que les énergies non renouvelables comme les combustibles fossiles. » il se mesure, selon Judicael Yongo électrotechnicien, à partir des ressources naturelles d’un pays. Notamment l’eau, le gaz, le soleil et l’uranium.« La mesure du potentiel énergétique est  a partir de ces ressources naturelles (eau…gaz .soleil. ..uranium ..) et de sa puissance débitée en mégawatt », fait-il savoir.

Pour différencier le potentiel énergétique et l’hydroélectrique, Guy Hervé Afanembeung souligne que le premier « englobe toutes les sources d’énergie disponibles dans un pays, qu’elles soient renouvelables (comme le solaire, l’éolien, la biomasse, etc.) ou non renouvelables (comme le pétrole, le charbon, le gaz naturel). » Tandis que le potentiel hydroélectrique est un sous-ensemble du potentiel énergétique, qui « se réfère spécifiquement à l’énergie pouvant être générée à partir des ressources en eau, telles que les fleuves et les barrages. Il se mesure souvent en termes de mégawatts (MW) ou de gigawatts (GW) disponibles à partir de l’énergie hydraulique», confie Guy Hervé Afanembeung.

Toutefois, selon Boris Mouafo, quantifier un potentiel hydroélectrique revient à : « Evaluer le volume d’eau contenu dans les fleuves et leurs affluents.» Or, selon Sidoine Djedjieu Talla, ingénieur en génie électrique, les indicateurs du potentiel énergétique d’un pays sont les réserves prouvées de ressources énergétiques ; la capacité de production énergétique ; le taux de croissance de la consommation énergétique ; la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique ; l’intensité énergétique (consommation énergétique par unité de PIB).

A la question de savoir si le Cameroun est 1er en Afrique et 18e au monde en matière de potentiel énergétique, Boris Mouafo souligne d’entrée de jeu que le classement des potentiels énergétiques réalisés par les institutions et autres se fait par ressource et non d’une façon globale.  « Etant donné que le potentiel énergétique est propre à chaque ressource, il est évalué par ressource. Le fort potentiel hydroélectrique du Cameroun le classe en deuxième sur le continent et 18e au rang mondial, d’après une étude portant sur les politiques de mise en œuvre des bioénergies au Cameroun, menée en 2014 », relève-t-il.

Sur ce même sujet, Thierry Ngouo Talla, ingénieur polytechnicien en énergie renouvelable indique que le classement peut varier en fonction des critères pris en compte, à savoir: les capacités installées, qui renvoient au niveau de rendement maximal d’une ressource; des ressources exploitables, etc. Néanmoins, relève-t-il, « le Cameroun a un potentiel en énergie renouvelable diversifié et prometteur de développement. Le potentiel hydroélectrique du Cameroun est estimé à 23 000 MW, qui est le 3e potentiel énergétique en Afrique au Sud du Sahara après la République Démocratique du Congo et l’Éthiopie. Ce classement est basé sur des rapports d’organisations internationales comme l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la Banque mondiale, ou encore des études sur les énergies renouvelables en Afrique.»

Capacité installée du potentiel hydroélectrique des pays africains d’après l’Agence internationale pour les énergies renouvelables, 2021

A en croire Thierry Ngouo Talla, plusieurs pays africains dont l’Éthiopie, avec son Grand barrage de la Renaissance, ou encore l’Afrique du Sud avec ses infrastructures énergétiques diversifiées, revendiquent également un potentiel énergétique important. Mais pour Sidoine Djedjieu Talla, « le Cameroun reste derrière la République Démocratique du Congo en termes de potentiel énergétique. Si nous prenons par exemple l’électricité qui  est le domaine dans lequel j’excelle, le potentiel énergétique de la RDC est largement supérieur à celui du Cameroun, qui a une capacité installée de 2 700 Mégawatts, d’après l’Association internationale d’hydroélectricité. En plus, d’après le rapport 2022 de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables, le Cameroun  occupe la 3e place dans l’approvisionnement total en énergie primaire derrière la RDC et l’Angola. Si déjà il occupe un tel rang en Afrique centrale, comment aurait-il la première place dans la l’Afrique tout entière ?»

D’après le document intitulé Politique nationale de l’eau du Cameroun publié par le ministère de l’Eau et de l’Energie le 30 novembre 2019, le Cameroun regorge un potentiel hydroélectrique important, car il est traversé par cinq bassins hydrographiques.« Du point de vue hydrologique (cf. figure 1), le territoire du Cameroun est à cheval sur cinq bassins hydrographiques que sont: (i) le bassin du Lac Tchad; (ii) le bassin du Niger; (iii) le bassin de la Sanaga; (iv) le bassin des fleuves côtiers; et (v) le bassin du Congo » , tandis que  le site tel www.cameroun-plus.com fait savoir que le Cameroun regorge quatre bassins hydrauliques que sont: le bassin de l’Atlantique avec le Wouri, le Nkam, le Noun, la Sanaga situé à Edéa (le plus long (920 km) et le plus abondant du Cameroun); Le bassin du Congo qui englobe le Bok, le Lobo, le Sangha, le Dja; le bassin du Niger qui regroupe le Mayo kebi, la Benoué, le faro et le bassin du Tchad constitué des fleuves Logone, la Vina, le Chari.

En conclusion, l’information selon laquelle le Cameroun est 1er en Afrique et 18e au monde en matière de potentiel énergétique n’est pas correcte. D’après une publication de la Banque africaine de développement de 2019, le Cameroun est le 2e pays en Afrique et le 18e  au monde en matière de potentiel hydroélectrique.

Lorine Claudia AGNANG

Cet article a été rédigé dans le cadre de la 1ère cohorte des Académies de Fact-checking, initiée par ADISI-Cameroun avec l’appui technique de DataCheck et le soutien financier de l’Ambassade de France.